Le Glaneur

HISTOIRE

Les eaux d'Hammam-Meskoutine remontent certainement à un âge géologique très reculé ; elles ont dû être connues et employées par les hommes de toute antiquité. Les Romains, chez lesquels le goût des bains allait jusqu'à la passion, construisirent à Hammam-Meskoutine de vastes thermes auxquels ils donnèrent le nom « d’Aquæ Tibilitanæ », à cause de leur proximité de l’antique Tibilis.

On doit surtout aux Arabes une littérature amoureuse où la peinture des sentiments atteint un degré d'exaltation qui n'a jamais été dépassé. Nous n'en voulons pour témoignage que les deux pièces ci-après, extraites du Livre des Amours, œuvre du plus célèbre de ces poètes (Aboul Touallah 301-399 de l'Hégire).

POEME

LA BIEN AIMÉE

La Bien Aimée m'a regardé, et, en mordant ses doigts dorés au henné :

— Viens ! m'a-t-elle dit.

Et ses voiles tombèrent. 0 joie entre les joies !

Son front est lisse comme l'œuf pondu par une autruche qui n'a jamais bu que de l'eau très pure.

Ses yeux sont deux oueds que borde une double frange de palmiers.

Ses lèvres sont ombragées d'un duvet très doux.

Ses dents sont plus régulières qu'une armée de cavaliers vêtus de burnous blancs.

Et c'est de Sa langue, Sa langue rouge, brûlante et pimentée, que le Sage a dit :

— Bien avisé celui qui La tournera et La retournera septante fois sept fois dans sa bouche avant de parler et même après.

Ses seins sont deux dunes de sable chaud.

Ses hanches, deux énormes montagnes, et Sa taille est plus flexible qu'un roseau.

Si le soleil voyait Sa croupe, il deviendrait lune, afin de pouvoir rivaliser avec Elle en blancheur et en rotondité.

Ses reins sont sinueux comme le dos d'une chamelle. Son ventre est très blanc et très poli.

Son nombril est l'œil complaisant d'une matrone borgne.

Dévoré de passion, j'ai possédé Son corps de cent et une manières.

Mes mains sont chaudes encore de Sa chaleur, et odorantes de Son odeur.

Elle est partie, maintenant, avec ceux de Sa tribu, et jamais plus je ne me laverai les mains, afin d'y respirer l'arôme de Sa chair pendant le reste de ma vie.

L'ÉPREUVE

J'implorais Sa possession.

Mais Elle me répondit : « Pas avant que tu ne m'aies prouvé ton amour. »

Et Elle s'éloigna.

Je demeurai immobile à l'endroit où Elle m'avait quitté, et mes larmes commencèrent de couler, silencieusement.

Elles coulèrent longtemps, sans que mon corps bougeât de la place où Elle m'avait imposé l'amoureuse épreuve.

Et des guerres se déroulèrent, et des villes s'élevèrent au bord des chotts formés par mes pleurs.

Mais, toujours immobile, et ne prenant aucune nourriture, je ne cessais de pleurer, lentement, avec un farouche désespoir.

Et comme mes yeux n'avaient plus de larmes pour alimenter cette source, mon sang lui-même se changea en larmes, et ma bile.

En sorte que mon corps devint plus sec qu'une courroie.

Et au bout de quatre-vingts ans, Elle passa de nouveau, et me vit.

Dès que je L'aperçus, mon cœur se mit à battre comme un tambour, et mes pleurs redoublèrent, comme un torrent que l'orage grossit soudain, et il y eut une inondation dans la plaine. Alors, Elle jeta les yeux au fond du puits que mes larmes avaient peu à peu creusé sous moi, et me dit

— Ton amour m'a vaincue. Lève-toi et entre dans mon Paradis !

A ces mots, je sentis me revenir toute la vigueur de ma jeunesse, et, sortant de mon puits, je La possédai en toute félicité soixante-quinze fois de suite, en traçant chaque fois une marque sur le sable. Et, au matin, je vis que le vent de la nuit avait effacé à mesure les marques sur le sable.

Alors je La possédai de nouveau soixante-quinze fois.

Et je m'écriai : « — 0 Aziza ! que l'épreuve me paraît légère, couronnée par une semblable récompense. »

I - HAMMAM - MESKHOUTINE ,"LES BAINS DES DAMNES"

II - HAMMAM - MESKHOUTINE ,"LES BAINS DES DAMNES" LES RECITS

III- HAMMAM - MESKHOUTINE ,"LES BAINS DES DAMNES" LE ROI SALOMON