L'affaire Humbert, la justice aux pas.
L'AFFAIRE HUMBERT
LA JUSTICE AUX PAS
HUMBERTISME. Subst. Masc. – Servit à désigner la corruption judiciaire et politique grâce à laquelle Mme Thérèse Humbert, née Daurignac, put asseoir son crédit et, se servant d'un héritage imaginaire, parvint à escroquer plus de soixante millions.
COUR D'ASSISES DE LA SEINE
Présidence de M. le CONSEILLER BONNET.
Audiences des 9 au 23 août 1903.
Les détails de ce grand drame, ou, si l'on préfère- le terme est peut-être plus exact — de cette grande comédie judiciaire sont trop présents à l'esprit de nos lecteurs pour que la Revue songe à les rappeler. Il lui suffit de publier le texte définitif du réquisitoire et des plaidoiries prononcés en Cour d'Assises, comme elle a publié les débats oratoires qui furent le premier acte du procès, lorsqu'il s'engagea à la barre du tribunal correctionnel : Cattauï, on s'en souvient, était alors l'adversaire ; et il fut le vaincu ; cette fois, les Humbert bataillaient contre le Parquet ; et le Parquet, après la joute qu'on va lire, est sorti vainqueur du combat.
RÉQUISITOIRE DE M. L'AVOCAT GÉNÉRAL BLONDEL.
Messieurs les Jurés, Si l'affaire Humbert n'avait été, suivant un mot célèbre, que « la plus grande escroquerie du siècle », vous n'auriez pas à la juger. Quelque considérable et exceptionnel que soit le chiffre des sommes escroquées, une escroquerie, vous le savez, et on vous le rappelait hier, n'en reste pas moins un délit justiciable des tribunaux de police correctionnelle. Mais pour atteindre le but que les accusés s'étaient proposé, pour tromper tout le monde, amis et ennemis, créanciers et prêteurs, hommes d'affaires et magistrats, pour parvenir pendant plus de 20 ans à s'imposer et à en imposer à l'opinion publique, les manœuvres frauduleuses et la mise en scène classique qui constituent l'escroquerie simple ne pouvaient leur suffire. Il fallait faire un pas de plus et recourir à ce moyen devant lequel les plus avisés et les plus perspicaces restent trop souvent désarmés, je veux dire le crime de faux et d'usage de faux en écritures. Ce pas, les accusés l'ont franchi et c'est ainsi que, l'ordre des juridictions répressives s'élevant en raison directe de la gravité des faits incriminés, les Humbert et les Daurignac comparaissent aujourd'hui devant la Cour d'Assises.
La justice et la presse
'Le jury de la Seine a rendu hier son verdict dans l'extravagante affaire Humbert. Il s'est montré beaucoup plus rigoureux qu’en déplaise à M. l'avocat général Blondel, qui nous accusait avant-hier d'avoir excité les jurés à la sévérité Thérèse et Frédéric sont condamnés à cinq ans de réclusion, Emile fera deux ans de prison et Romain Daurignac trois ans.
Le dernier acte de la sinistre farce est donc joué, et le dénouement apparaît plus rigoureux encore qu'on ne l'avait prévu. Nous n'aurons pas le triomphe cruel. Et pourtant, c'est bien au Matin, 'nous en appelons encore une fois à M. l’avocat général, qu'est dû le juste châtiment de la plus grande escroquerie du siècle, Nous nous contenterons d'en dégager une simple leçon de choses. La justice éprouvait une peine infinie à mettre en marche son majestueux appareil depuis des années, les coquins triomphants défiaient le fameux arsenal r de nos lois. Le rôle de la presse est alors apparu dans toute sa simplicité. La presse a crié « Au voleur » Et il a bien fallu l’entendre. II a bien fallu nous suivre. Il a bien fallu marcher sus aux escrocs qui se croyaient inattaquables derrière, une double haie de robes rouges et de robes noires.
Et le jury, le bon jury, le jury de la Seine, qui passe pour sentimental et tiède, a d'un geste brutal démasqué toute cette clique, balayé toute cette ordure. Une fois de plus se démontre ainsi cette vérité que malgré toutes les calomnies qu'on débite sur elle, la Presse a du bon. C'est encore elle, quoi qu'on en dise au Palais et ailleurs, qui demeure la gardienne vigilante de la vérité, parce qu'elle s'inspire de cette conscience publique qui n'admet ni les silences coupables ni les dégradantes capitulations.
II y a seize ans, monsieur l'avocat général, que pareille occasion fut donnée à la Presse de pousser à la roue du char de la Justice, embourbé dans de mauvais chemins de traverse. L'affaire Wilson a précédé l'affaire Humbert. Elle n'avançait guère vite-non plus, et dans sa marche pénible vers. L’effondrement final des coupables, l'affaire Humbert a rappelé, presque trait pour trait, l'affaire Wilson. Décriée, calomniée, vilipendée, la Presse sincère, celle qui n'a souci que du bien public, monsieur l'avocat général, poursuit son œuvre sans s'occuper des médisants. Le Matin ne recherche ni la popularité malsaine ni le scandale facile, quoi qu'en puissent dire les envieux. Il se contente de suivre l'opinion et de crier très haut ce qu'elle pense, tout bas.
Et de cette ligne de conduite rien ne saurait le détourner.
Le Matin : derniers télégrammes de la nuit 23 aout 1903