Le crime de la rue du Temple
AFFREUX ASSASSINAT-
UN GARDIEN DE NUIT ÉTRANGLÉ CHEZ UN BIJOUTIER
Le Crime de la rue du Temple.
Dans l'Appartement de M. Crossard -
Le Père Florimond surpris par les Cambrioleurs.
Mort atroce d'un Vieillard - Les Bandits ont fracturé tous les Meubles.
Quatre Arrestations - Sont-ce les coupables
Un assassinat suivi de vol a été découvert, hier matin, 160, rue du Temple, dans des circonstances toutes particulières. Ceux qui s'en sont rendus coupables ont fait preuve, dans l'accomplissement de leur exécrable forfait, d'une surprenante volonté en même temps que d'une lâcheté odieuse. Trois individus, encore inconnus, se sont introduits dans t'appartenant occupé par un bijoutier-joaillier, M. Crossard, et ont étranglé le gardien de nuit, un malheureux vieillard sans défense, âgé de soixante-huit ans. Auquel ils ont ensuite ligoté bras et jambes, alors, sans doute, qu'il avait déjà cessé de vivre ou agonisait.
Ce crime commis en plein cœur de Paris, dans un quartier dont la population est particulièrement dense, demande un compte-rendu détaillé. Le voici :
La Maison Crossard
A l'adresse que nous indiquons plus haut, M. Crossard occupe au troisième étage au-dessus de l'entresol, sur le même palier, deux appartements qui ont été réunis en un seul. Il a fait du premier son domicile particulier, comprenant une chambre à coucher, un salon, une salle à manger, une salle de bains et une cuisine. Le second est entièrement affecté à son commerce. Dans les pièces qui le composent, il a fait aménager un atelier où travaillent quotidiennement huit ou dix ouvriers, un bureau particulier, pour recevoir les visiteurs et les clients, et un comptoir-caisse. Les deux loyers s'élèvent à 6.000 francs.
La maison Crossard est très connue sur la place de Paris comme l'une des plus anciennes et aussi des plus sérieuses.
On y reçoit, a1'état de Lingots, l'or et l'argent servant à la fabrication des bijoux en tous genres enrichis de pierres précieuses qui sont une spécialité de la maison. Du samedi soir au lundi matin, les ouvriers ont congé, et, régulièrement, pendant toute la durée de la belle saison, M. et Mme Crossard vont passer la journée du dimanche à Noisy-le-Grand, dans le département de Seine-et-Oise.
Le « Père Florimond »
Pendant cette courte absence, M. Crossard laissait à celui que tout le monde, dans la maison et dans le quartier, appelait familièrement le père « Florimond » le soin de garder le magasin et l'appartement. Pour plus de sûreté, le bijoutier avait fait installer, au-dessus de la porte d'entrée, un appareil électrique correspondant avec la logé des concierges. De cette façon, nul ne pouvait pénétrer ou sortir-sans qu'aussitôt
une sonnerie se fit entendre.
M.Florimond Falla
Tel qu'il lut photographié le jour où il reçut la médaille des vieux serviteurs.
Né à Berg-op-Zoom (Hollande), le 28 février 1837, Florimondus – Désiderius - Gustavius Falla était un de ces braves et vieux serviteurs qui deviennent malheureusement de plus en plus rares et font, pour ainsi dire, partie de la famille dans laquelle ils vivent.
Il y a cinquante-cinq ans, alors qu'il était apprenti bijoutier dans sa ville natale, sou patron, M. Coudermann, ayant remarqué les dispositions du jeune homme l'avait emmené avec lui à Paris, où il devait fonder une maison de commerce.
M. Coudermann s’associait bientôt avec M. Papillaud, le fondateur de la bijouterie de la rue du Temple. Lorsque ce dernier céda sa maison à M. Crossard, le père du propriétaire actuel, il lui recommanda le jeune homme, qui était devenu un ouvrier des plus habiles.
Florimond Falla qui montrait à ses patrons un dévouement, des plus rares, sut s'attacher si bien ceux-ci qu'ils le considérèrent dès lors comme un véritable parent. Il vit naître M. Crossard fils, son patron actuel, le fit sauter sur ses genoux, et lorsque le père de ce dernier mourut, il n'eut pas besoin de recommander Falla à son fils. Le père Florimond avait maintenant la vue bien basse. Si ses doigts, un peu tremblants, n'avaient plus l'habileté d'autrefois, le brave homme savait se rendre encore utile par d'excellents conseils, et il récompensait son patron par l'intelligent emploi de tout ce qui lui restait d'énergie. il y a un an environ, pour faire plaisir à M. Crossard., il se faisait naturaliser Français. Ce désir du bijoutier cachait une surprise que l'on ménageait au brave homme et qui lui causa une joie sans égale En récompense de sa probité et de sa conduite exemplaire, il reçut, à la demande général, des ouvriers de l'atelier, qui tous l'adoraient, la médaille que l'on accorde aux vieux serviteurs âgés qui, comme lui, peuvent être donnés en exemple aux autres. Ce jour-là fut un jour de fête pour le père Florimond qui désira en garder le souvenir en se faisant photographier dans ses plus beaux habits, la poitrine, ornée de la belle médaille.
En temps ordinaire, le père Florimond couchait dans une chambre de l'appartement, mise à sa disposition. Il ne faisait exception à cette règle que lorsque ses patrons partaient à la campagne. Il roulait alors son lit de fer dans 1'antichambre, et, comme un bon chien de garde, couchait devant la porte. C'est ainsi qu'il avait procédé samedi soir, après le départ de. M. et 'Mme Crossard, qui, comme de coutume, ne devaient rentrer que ce matin, rue du Temple.
Le père Florimond avait contracté une habitude bien inoffensive et qui devait cependant lui coûter la vie. Réveillé tous les matins à cinq heures, il passait son pantalon et sa blouse, et, quels que fussent la saison et le temps, il descendît faire un petit tour dans le quartier, et, aussi, prendre son petit verre de rhum.
Avec sa ponctualité habituelle, il quittait donc l'appartement hier matin et donnait, en passant devant la loge, son nom au concierge pour qu'il ne conçut aucune inquiétude après avoir entendu résonner la sonnerie électrique.
Une fois dehors, le pauvre homme dut laisser à dessein la porte de la maison entrebâillée, de façon à pouvoir permettre aux différents fournisseurs, laitiers, marchands de journaux et autres, d'aller et venir librement sans avoir besoin de sonner pour se faire ouvrir.
Combien de temps resta-t-il absent ? C'est là un point qui n'a été qu'imparfaitement établi, La concierge, qui a entendu tinter pour !a seconde fois la sonnerie du magasin, lors de la rentrée du père Florimond, ne peut préciser exactement à quelle heure elle se fit entendre. On suppose qu'il aura dû remonter vers six heures environ. C'est, du moins, ce qui semble résulter de la déclaration d'un ouvrier qui a vu entrer les assassins dans la maison, entre six heures et six heures un quart.
Découverte du Cadavre
Vers huit heures du matin, deux sertisseurs, chefs d'atelier de M. Crossard, MM. Brissart et Jacob, arrivaient ensemble rue du Temple pour achever une commande pressée, ranger les outils et prendre en même temps connaissance du courrier. M. Brissart tourna le bouton de la porte d'entrée et entra. Il avait à peine fait un pas dans l'antichambre qu'il recula épouvanté. Il venait d'apercevoir, jeté en travers du petit lit de fer, le corps du père Florimond. On a tué notre pauvre vieux s'écriât-il tandis que son camarade entrait à son tour et se trouvait en présence de l'affreux, les poignets du vieil ouvrier étaient attachés avec une blouse blanche que les assassins avaient dû trouver dans l'atelier, les pieds étaient liés très étroitement à l'aide d'une serviette blanche. La tête était tourné côté du mur. Autour du cou se trouvait une courroie en cuir faisant plusieurs tours. Les assassins avaient étranglé leur victime Cette courroie avait été enlevée à une sacoche en cuir que l'on a retrouvée sur le parquet, dans le bureau même. M. Brissart palpa le cadavre et s'aperçut qu’il était encore chaud. Il envoya vite son camarade Jacob chercher un médecin du voisinage, tandis qu'après avoir délié la courroie qui enserrait le cou du pauvre homme, il pénétrait dans les bureaux. Un désordre inexprimable y régnait tous les tiroirs des meubles gisaient à terre. Des traces d'effraction se remarquaient sur le coffre-fort.
Redescendre et donner l'alarme furent pour lui l'affaire de quelques minutes. Informé le premier, un sous-brigadier refusa de monter à l'appartement, de crainte de tomber dans les mains des assassins, dont il y avait lieu de redouter encore la présence, chez M. Crossard, et envoya prévenir M. D'Homme, commissaire de police du quartier, qui ne tarda pas à arriver, accompagné de son secrétaire, M. Brault, et du docteur Dupuis.
Ces derniers, hélas ne purent que consulter la mort du vieux Falla. D'après le docteur, le décès était survenu entre six et sept heures.
Les Constatations judiciaires
M. Bourdeaux, juge d'instruction, Hamard, chef de la sûreté, et Jouin, secrétaire de ce dernier, ainsi que plusieurs inspecteurs de la brigade criminelle vinrent bientôt rejoindre M. D’Homme, et les constatations judiciaires commencèrent aussitôt. Il fut établi tout de suite que ce forfait avait été longuement prémédité, et que les assassins n'ignoraient rien des habitudes du père Florimond. Ils savaient également que M. et Mme Crossard s'absentaient du samedi soir au lundi matin. En effet, les misérables, qui étaient an nombre de trois, épièrent, dans la rue, la sortie du vieil ouvrier.
Dès qu'ils l'aperçurent et qu'ils remarquèrent qu'il avait laissé la porte ouverte, ce qui favorisait admirablement leur criminel dessein, l'un d'eux dut se séparer de ses complices et monter seul, en éclaireur, jusqu'à l'appartement de M. Crossard. Dissimulé dans un renfoncement ou sur le palier de l'étage supérieur, il attendit la rentrée du père Florimond. Les autres suivirent le vieillard quand il remonta et arrivèrent en même temps que lui sur le palier du troisième étage. Dès qu'il eut ouvert la porte les bandits se jetèrent sur lui, le renversèrent sur le lit et l'un d'eux dut tout d'abord essayer de l'étrangler en lui pressant larynx entre le pouce et l'index. On a relevé les traces très visibles de ses doigts sur le cou de la victime.
La pression n'ayant pas été, sans doute assez forte, c'est alors qu'on eut recours à la courroie en cuir. Le pauvre homme ne dut même pas avoir le temps de se défendre. Il aurait cherché à le faire qu'il eût été impuissant, car sa débilité sénile était assez accentuée.
Leur crime accompli, les assassins commencèrent par couper, avec une cisaille qui a été retrouvée dans l'antichambre, les fils ?électriques aboutissant à la loge des concierges. De cette façon ils se ménageaient une sortie facile et étaient certains de ne pas attirer l'attention sur eux en faisant retentir une troisième fois la sonnerie électrique. Muni sans doute d'instruments défectueux, ils essayèrent, mais en vain, d'ouvrir les deux coffre-fort du bureau de M. Crossard. Ils furent plus heureux en s'attaquant à un tiroir dont ils firent sauter la serrure à l'aide d'une pince-monseigneur, et qui contenait pour 8,000 francs de pertes fines. Dans le magasin qu'ils fouillèrent superficiellement, ils s'emparèrent d'un certain nombre de plaquettes en or, dont la valeur n'est pas encore connue ; puis ils pénétrèrent dans la chambre à coucher de Mme Crossard.
Ils firent sauter la porte de l'armoire à glace et dérobèrent un grand nombre de très beaux bijoux. Le montant du vol peut être évalué à 70.000 francs, mais on n'en connaîtra exactement le chiffre que lorsque l'inventaire de la maison sera terminé. Cet inventaire n'a pu être commencé que dans l'après-midi, lorsque M. et Mme Crossard, qui avaient été prévenus télégraphiquement par M. Hamard, purent arriver rue du Temple.
Les jeunes époux ont été très douloureusement affectés par la mort tragique de celui qu’ils considéraient comme faisant partie de leur famille. Ils étaient venus à Paris en automobile, n'ayant pas de train à leur disposition ; afin de gagner du temps.
Ils furent reçus par MM. Bourdeaux, Hamard et D'Homme qui, en leur compagnie, complétèrent leurs investigations. L'inventaire ne sera achevé qu'aujourd'hui. Malgré leur grosse émotion, M. et Mme Crossard se sont prêtés à toutes les formalités nécessaires.
Des employés du service anthropométrique ont pris plusieurs photographies du l'appartement et ont relevé sur la glace de l'armoire les empreintes des doigts des assassins.
A quatre heures de l'après-midi un fourgon des pompes funèbres s'arrêtait devant le numéro 160 de la rue du Temple. Une foule considérable, composée d'habitants du quartier déjà au courant du crime, s'était assemblée, difficilement maintenue par un important service d'ordre. Presque tous connaissaient le père Florimond, et c'est devant une haie respectueuse et émue de gens qui vantaient les mérites du pauvre vieux, que son cercueil fut placé dans la sinistre voiture, laquelle se dirigea aussitôt vers la morgue.
C'est en effet là que doit avoir lieu l'obligatoire formalité de l'autopsie, qui sera faite par M. le docteur Socquet.
Intéressants Témoignages
Les magistrats ont recueilli au cour de leur enquête, des témoignages extrêmement précieux.
Nous avons dit que le père Florimond se rendait le matin, entre cinq et six heures, dans un bar du quartier. Le vieux serviteur avait le tort d’être un peu trop bavard. Devant des gens suspects le brave homme, qui croyait tout le monde aussi honnête que lui, aimait se vanter de la confiance que lui témoignaient ses patrons. Tenez, voyez ces petites choses, s'écriait-il souvent, en montrant les clefs, des locaux de M. Crossard, Ce ne sont pas les clefs du paradis mais c'est tout comme. Si un filou les avait, ah ! il pourrait en prendre des centaines de mille francs de bijoux et de pierres précieuses. C'est moi le gardien du trésor et, pour l'emporter, il faudrait passer sur mon cadavre.
Bon nombre de personnes connaissaient donc la façon de vivre du père Florimond. On savait qu'il couchait seul dans l'antichambre du samedi soir au lundi matin on connaissait ses absences quotidiennes au lever du jour. On savait même que, chaque samedi, il prenait ses repas chez sa nièce, Mme Palazy, 24, rue de Saintonge. Or, la concierge du 160 de la rue du Temple, Mme Vial, avait surpris, avant-hier soir, vers huit heures, deux individus, paraissant âgés de dix-huit à vingt ans, devant la porte de M. Crossard, l'un blond, vêtu d'un complet veston gris et coiffé d'un chapeau de paille l'autre brun, portant un complet veston noir.et un chapeau melon de même nuance. Mme Vial les avait interpellés ils avaient balbutié tout d'abord, puis l'un d'eux avait dit qu'il venait voir M. Crossard.
M. Crossard n'est pas là, avait répondu la concierge.
Mais, pourtant, il nous a reçus souvent à cette heure-là. Est-ce qu'il ne va pas quelquefois le samedi à la campagne ?
Je ne peux rien vous dire ; Qu'il vous suffise de savoir qu'il n'est pas là.
Et le père Florimond, comment va- t-il ? Continua l'un des individus.
- Très bien, très bien monsieur. Mais vous ferez bien de revenir lundi dans la journée. Les deux jeunes gens s'étaient empressés de descendre en disant qu'ils reviendraient. Leur attitude avait paru tellement louche à Mme Vial qu'elle n'hésita pas, lorsque le père Florimond revint de chez sa nièce, à le mettre au courant de cet incident et à lui conseiller de faire attention.
Le lendemain matin, à sept heures, sachant que M. Falla était revenu de sa promenade matinale, elle grimpa de nouveau les quatre étages et vint frapper à la porte de M. Crossard.
Personne n'ouvrit et Mme Vial entendit cependant des piétinements,.
Tiens, pensa-t-elle, le père Florimond a peur ; il ne veut pas ouvrir.
Et elle redescendit.
Or, à ce moment, les assassins devaient être occupés à dévaliser l'appartement, car, dix minutes après, ils descendaient, d'après le témoignage d'une locataire de la maison. Cette dame. Mme Héloïse Chéraux, âgée de cinquante ans, est marchande au Temple, est habite au sixième étage. Affligée de douleurs, la pauvre femme descendait péniblement l'escalier entre sept heures dix et sept heures et quart, et se trouvait à la hauteur du troisième étage, lorsque trois jeunes gens, dont le signalement de deux d'entre eux correspond point pour point à celui des deux personnages aperçus la veille par la concierge, passèrent devant elle en la bousculant, presque.
Leur mine sinistre l'avait frappée, et, en passant' devant la loge, elle frappa pour prévenir la concierge. Celle-ci était absente elle était en face, dans le passage Sainte Elisabeth, en train de battre les tapis de la maison. La brave marchande attendit sur le seuil de la porte le retour de Mme Vial pour la mettre au courant. Sur ces entrefaites arrivèrent MM. Brissart et Jacob, chefs d'atelier. On sait le reste.
Autres Dépositions
Un autre témoignage, des plus importants celui-là, a été recueilli par M. D'Homme. C'est celui d'un ouvrier qui tient à garder l'anonymat de peur d'une vengeance des assassins.
Revenant de faire une période de vingt-huit jours, il avait déposé, samedi, ses effets de réserviste dans l'établissement de vins situé au rez-de-chaussée du n° 160 de la rue du Temple.
Avant de se rendre à son travail, il vint, à six heures du matin, pour les chercher. Le café était fermé. L'ouvrier attendit un instant c'est alors qu'il remarqua devant la porte du n° 160 trois individus qu'il se fait fort de reconnaître, même d'après la photographie, tant il a gardé dans sa mémoire leur physionomie.
Ces gens paraissaient très inquiets et regardaient à droite et à gauche. Et c'est précisément cette attitude qui attira l'attention de l'ouvrier.
Or, comme le café n'ouvrait toujours pas, le travailleur, désireux de prévenir son patron qui l'attendait à cette heure, se rendit chez lui pour le prier de patienter un moment. Puis il revint.
Il était alors six heures et quart.
De loin, il aperçut l'un des trois individus seul sur le trottoir et semblant faire le guet. Puis, après un dernier regard circulaire, l'inconnu s'engouffra par la porte alors entr’ouverte du 160. Il allait retrouver ses camarades.
Le café s'ouvrit sur ces entrefaites. L'ouvrier prit ses effets à la hâte et courut chez son patron, ne pensant plus à ce qu'il avait vu auparavant.
Ce n'est que plus tard, lorsque, prévenu par le bruit qu'un crime avait été commis dans la rue du Temple, qu'il alla s’informer. Convaincu de la valeur de son témoignage, il vint alors prévenir M. D'Homme. Le signalement qu'il donne correspond également à ceux fournis par la concierge et Mme Chereau, la marchande du Temple.
Chez la Sœur de la Victime
Au numéro 24 de la rue de Saintonge, au troisième étage, Mme veuve Palazy, la nièce de la victime, occupe avec sa mère, la propre sœur de M. Falla, et sa fille, une jeune personne de seize ans, un petit appartement où elle exerce la profession de couturière.
C'est là toute la famille que le malheureux vieillard possédait à Paris. Inutile de dire que, dans cet intérieur, il était adoré et choyé.
Dire que mon pauvre oncle était encore là hier soir, nous dit Mme Palazy au milieu de ses larmes. Il venait dîner ici tous les samedis soirs et hier surtout il était si gai .Il faut vous dire qu'il aimait beaucoup nous faire des farces et nous taquiner. Et, hier soir, de toute la force de ses pauvres jambes, il courait à travers notre petit appartement après moi et ma fille, sa petite-nièce et filleule. C'était un concert de cris et de rires.
Ah quel triste lendemain Et ce matin, monsieur, comme j'étais inquiète en ne le voyant pas arriver, car tous les dimanches matins il venait prendre ici -son café ! Depuis que nous sommes à Paris il n'avait jamais dérogé à cette douce habitude. Je m'apprêtais à courir aux nouvelles lorsque la concierge du 160 frappa à notre perte.
Vous savez ce qu'elle a pu m'apprendre !
Quatre Arrestations ?
Les coupables sont-ils déjà entre les mains des policiers chargés de les arrêter ? C'est ce que l'on ne sait pas encore. Toujours est-il que quatre arrestations ont été opérées hier par M. Hamard, voici à la suite de quelles circonstances.
Sur une dénonciation qui lui était parvenue vers la fin de l'après-midi, M. Hamard, son secrétaire M. Jouin et une dizaine d'agents quittaient immédiatement le quai des Orfèvres et partaient en voiture. M. Bourdeaux, juge d'instruction, avait tenu à assister lui-même aux descentes de police qu'allait faire le chef de la sûreté et il était monté dans le même fiacre que celui-ci. Plusieurs bouges du faubourg du Temple et du boulevard de Belleville dans lesquels les magistrats pouvaient supposer que les assassins s'étaient réfugiés après avoir commis leur horrible forfait ont été visités de la cave au grenier.
Quatre individus soupçonnés d'avoir trempé dans l'assassinat du père Florimond, ou tout au moins d'en connaitre les auteurs, ont été mis en état d'arrestation.
Ils ont été conduits dans le plus grand secret au service de la sûreté, où ils ont été placés dans des cellules spéciales.
Ils seront interrogés ce matin par M. Hamard, qui espère beaucoup voir cette affaire terminée avant peu.
Le petit parisien 28 aout 1905
Toute la Bande sous les Verrous. — Capture du troisième Assassin.
Arrestation des deux Receleurs,
M. Hamard retrouve la plupart des Bijoux,
Quel est le plus Coupable ?
Nous avons, hier, raconté en détail l’arrestation de deux des assassins du père Florimond Falla, Léon Tané et Albert Eckert, deux jeunes gens de vingt ans qui furent si bien convaincus du role qu'ils avaient joué en cette sinistre histoire qu’ils ne songèrent guère à nier.
Ainsi que nous le faisions pressentir leur complice, Robert Léveque, l’ancien ouvrier de la bijouterie Crossard. Celui qui a conçu le coup et a certainement aidé les deux autres à exécuter, est tombé hier après-midi entre les mains des inspecteurs de la sûreté.
Auparavant, les agents de M. Hamard avaient opéré, dans la soirée d’'avant-hier, deux autres arrestations fort importantes, celles d’individu impliqués dans l’affaire à titre de receleur,
La première fut celte d'un nommé benichou Elieser, natif d’Oran et Agé de dix-huit ans, habitant chez ses parents dans les environs de la gare de l’Est. Cet individu était connu dans le monde spécial des cambrioleurs et des escarpes sous le nom de « Barnum ». C’est à lui que l’on avait toujours recours pour écouler le produit des vols. On le savait très malin, très « débrouillard ». Moyennant une « honnête » commission. Il se mettait toujours à la disposition de tous ceux qui avaient besoin de ses services,
« Jésus du Sébasto » c’est-à-dire Lèveque, avait tout d'abord pense à lui lorsqu'il avait eu l'idée du crime. Il avait voulu se l’attacher en le faisant participer à l'acte criminel qu'il avait projeté.
« Barnum » avait accepté. Il fut alors chargé de préparer le « coup » Le samedi soir, il alla 106, rue du Temple, en compagnie de l’un des assassins, pour se rend de compte de l’état des lieux. C'est alors qu'il fut dérangé par la concierge qui se souvenait, très bien de lui et le désignait dimanche dernier, après le crime, sous l'appellation de l’ « homme au veston gris ».
Béni Chou Èlieser ne revint pas très rassuré de son expedition. Il déclara a Léveque et a Eckert qu’il se sentait fatigué et n’était pas en bonne forme pour exécuter un coup pareil.
Cependant, ajouta-t-il, je suis à votre entière disposition pour écouler les bijoux, car je sais bien que sans moi vous ne pourriez pas vous en débarrasser.
Ce fut alors que « Jésus » demanda à Eckert de lui trouver un aide. Celui-là, on le sait, fut Tané.
« Barnum » tint parole et, quelques heures après le crime, après avoir passé la nuit chez ses parents, il se trouvait dans un bar de la rue Saint-Martin, où il recevait bientot la visite du frère d’Eckert. Celui-ci lui remit une boîte dans laquelle se trouvaient les plaquettes, les bijoux et pierres précieuses volés chez M. Crossard « Barnum » se mit aussitôt en quête d‘un receleur, avec d'autant plus de soin et de persistance Que les assassins lui avaient promis une assez forte récompense, Il n’eut pas de peine à trouver son homme.
Ce recéleur, qui a été également arrêté, est un nommé Hermann Grellinger, âgé de trente-cinq ans, originaire de la Chaux -de- Fond (Suisse),
Toutes les bandes de rôdeurs des environs ; la « Turbigue », le « Temple », le « Sèbasto » le connaissaient sous le nom d'Armand ; il passait pour exercer sa coupable industrie avec une extraordinaire habileté.
Pour faciliter ses transactions, Grellinger avait tenu à se rapprocher de ses fournisseurs et il était venu s'établir en plein centre, dans un hôtel de la rue du Vert-Bois.
Il n’avait pas toujours exercé cette peu délicate profession. Autrefois, Grellinger avait été un honnête commerçant il tenait alors boutique rue des Petites-Ecuries et exercé la profession de marchand d'or. Mais L'honnêteté ne lui avait pas réussi, Ses affaires périclitent sans cesse, il avait pris la résolution d’en entreprendre de plus louches, mais en même temps plus rémunératrices, C’est alors qu’il vécut au milieu des receleurs et des malfaiteurs de tout genre leur donnant parfois de précieuses indications pour se défaire (d'un butin embarrassant. Tels sont les deux hommes auxquels les assassins avaient eu recours pour tirer parti de leur butin. Lorsque « Barnum » vint trouver Grellinger, il lui donna 50 francs à titre d'acompte. Le commissionnaire préleva une somme de 10 francs et remit 40 francs à Eckert. C’est avec cet argent l’assassin put s’enfuir, Ayant à sa disposition Eckert, Tané, Barnum et Grellinger, M. Hamard n'avait plus qu’à retrouver Lévêque.
le chef de la sureté estimait que ce dernier ne pouvait aller bien loin et qu’il tomberait bientôt entre les mains de ses agents. Toutefois on savait que Lévéque possédait quelque argent et que son amie, Herminie Eckert lui avait fourni des subsides. Il pouvait donc se faire que le coupable réussît à se soustraire pendant quelques jours aux recherches dont il était l'objet.
Mais le hasard fait bien les choses. Les inspecteurs de la sureté traquaient leurs hommes du côté des Buttes-Chaumont ou d’ordinaire il fréquentait.
Arrestation de Lévèque
Hier, vers midi, un individu se présentait chez M. D'Homme, commissaire de police du quartier des Arts-et-Métiers, et lui indiquait la véritable retraite de l'assassin.
- Si vous voulez avoir Lévèque, cherchez dans un hôtel de la rue Cler.
Le magistrat téléphona immédiatement ce renseignement a M. Hamard et, quelques instants plus tard, deux inspecteurs filaient vers le quartier des Invalides.
Ils acquirent bientôt la certitude que la piste était bonne. Mais au moment où ils se présentèrent, Lévéque venait de sortir. Ils le suivirent à la trace, et le rejoignirent dans le parc de l'hôtel des Invalides.
L'assassin était tranquillement occupé à examiner les canons historiques, qui, de l'autre côté du fossé, braquent leurs gueules menaçantes vers l'esplanade.
Les agents s'avancèrent aussitôt vers lui, Lévêque comprit et dit simplement - Je suis fait. Je n'aurais pas cru que cela .Et il suivit sans résistance les deux inspecteurs qui l'amenèrent immédiatement devant M. Hamard.
Je savais bien, dit-il au chef de la sûreté que je ne pouvais aller bien loin. Tous les journaux du matin avaient donné mon portrait, je devais être pris, et je m'y attendais. Néanmoins j'espérais être libre encore pendant une quinzaine de jours et je comptais en profiter pour aller me promener en banlieue. Vos agents sont venus trop tôt. Après avoir recueilli le récit de son prisonnier, M. Hamard se transporta dans la chambre que ce dernier occupait rue Cler. Il y opéra une perquisition qui lui fit découvrir une blouse de boucher, bleue avec des fleurs blanches sur les épaules, qui avait servi à Lévéque à se travestir. Le magistrat a également saisi un long sarrau en étoffe noire, dont fréquemment Herminie Eckert s'affublait pour sortir.
Revenu au service de la sûreté, M. Hamard y entendit simultanément les trois assassins, mais il ne put réussir à leur faire préciser le rôle que chacun d'eux avait joué dans l'affaire. Tous trois reconnaissent avoir participé au crime, mais ils s'en rejettent mutuellement la responsabilité.
II est probable qu'au cours de son instruction M. Bourdeaux à la disposition duquel les coupables ont été mis parviendra déterminer la part que chacun d'eux a prise dans l'assassinat du vieillard.
Les Bijoux retrouvés
Quand il en eut terminé avec les assassins, M. Hamard s'occupa des receleurs et s'en alla perquisitionner dans le logement qu'Hermann Grellinger occupait rue du Vert-Bois. Ce fut en vain que le magistrat visita tous tes meubles. Il se trouva pas trace de ce qu'il cherchait.
Soudain, un inspecteur avant soulevé un des matelas qui garnissaient, le lit, s’écria :
-Je tiens la boite.
Au milieu de la laine du matelas, en effet, était dissimulée une boite assez volumineuse, pesant cinq livres, et dans laquelle M. Hamard eut la joie de découvrir ce qu'il cherchait. C'étaient presque tous les bijoux volés chez M. Crossard et dont les bandits avaient empli leurs poches au moment où ils s'enfuyaient.
Il y avait là quantité de plaquettes en or, des bagues serties de diamants, d'autres inachevées, des perles fines, des broches, des chaînes, etc.
Les malfaiteurs avaient pris au hasard, à pleines mains, se hâtant de peur d'être surpris par la concierge de la maison qui était venue, on le sait, frapper à la porte. A ce sujet relatons un propos de Tané, répondant à une question que lui posait M. Hamard
Et si la concierge était entrée ?
Eh bien répliqua froidement le bandit, on l'aurait faite », comme le vieux. Tiens ! Il faut bien vivre, on se serait défendu Ajoutons qu'en même temps qu'il faisait transporter au greffe du palais tous les bijoux découverts rue du Vert-Bois, M. Hamard faisait conduire à la Santé, sous mandat de dépôt, les cinq inculpés qui y seront gardés à la disposition de M. Bourdeaux.
Chez Mme Lévèque
Robert Léveque appartient à une très honnête famille dont, de tout temps, il a fait le désespoir. Nous avons pu voir sa mère hier et nous entretenir, pendant quelques instants, avec elle.
On devine l'état d'angoisse perpétuelle dans lequel se trouva la malheureuse femme quand elle apprit que son fils avait participé au crime de la rue du Temple, et qu'il était traqué comme une bête fauve par les inspecteurs de la sureté.
Chaque fois qu'un visiteur poussait la grille de la maison où elle habite avec ses enfants. deux filles et trois garçons, rue Fessart, derrière le parc des Buttes Chaumont, le store de l'une des fenêtres du rez-de-chaussée se soulevait on apercevait une main qui tremblait, des yeux rougis par les larmes qui cherchaient à lire sur le visage du nouvel arrivant, des yeux pleins d’anxiété qui essayaient de deviner sa pensée, qui il était, ce qu'il venait faire dans ce quartier éloigné, dans cette demeure où, d'un moment à l'autre, on attendait la fatale nouvelle de l'arrestation.
Tandis que nous nous présentions à notre tour, chez elle, on ignorait encore que celle-ci était accomplie.
D'une voix douce, avec cette résignation des mères qui, toujours, savent, même quand Ils ne le méritent pas, trouver des excuses aux fautes de leurs enfants, Mme Lévêque nous dit.
-Quand Robert eu l’âge règlementaire, je l'envoyai, tout près d'ici, à École communale. A douze ans, comme il n'avait pas encore obtenu son certificat d'études, et que je savais qu'il n'avait aucune chance de l'avoir plus tard parce qu'il ne voulait rien apprendre, je songeai à le placer en apprentissage. Il entra chez M. Crossard. Ce fut sa première place. En sortant de l'atelier, il allait quelquefois, le soir, suivre des cours de dessin, car son patron lui avait dit que s'il voulait arriver à quelque chose plus tard, il lui fallait savoir manier le crayon. Au lieu de revenir directement à la maison, il s'attarda dans les rues et fit la connaissance d’enfants comme lui, déjà gangrené, ayant de mauvais instincts, je crois bien que c'est à cette époque qu'il se lia avec un jeune bandit, nommé Collin, qui devait exercer sur lui, par la suite, une influence. M. Crossard, comme vous le savez, fut obligé de le congédier. Je le repris à la maison et, quelques jours plus tard, il entrait dans une autre maison de bijouterie, chez MM. Morel et Basset, 9, rue Villedo.
Il y était depuis deux années environ quand, un jour, l'un des patrons vint me trouver
« Si j'ai un bon conseil à vous donner, me dit-il, c'est de reprendre votre fils et de lui faire apprendre autre chose. Il ne fera jamais un bon ouvrier dans la bijouterie et, en conséquence, ne pourra jamais arriver à gagner facilement sa vie.
Je suivis le conseil et, ne sachant que lui faire entreprendre, je le plaçai comme garçon de magasin chez M. Chandon, une maison de passementerie aujourd'hui disparue. Il ne put faire l'affaire et trouva une place semblable chez M. Delamate, un fabricant de matières premières pour étoffes et tissus. Là, on réduisit le personnel et il fut compris parmi ceux qui furent congédiés. Ce fut la fin. Ecœuré et décourage, il demeura longtemps sans rien faire, puis nous quitta tout à fait. Il avait alors quinze ans. Je le fis rechercher par la police. On le retrouva. Mais dans quel lieu et en quelle compagnie Je vous le laisse à penser.
Par tous les moyens possibles, j'essayai de le retenir à la maison. Je lui répétais Ne fais rien dors, bois, mange, mais ne sors pas, ne nous quitte plus.
Pendant un mois, il m'écouta, se montra doux, docile, voire même affectueux. Parfois, quand je lui faisais entrevoir les dangers qu'il courait en fréquentant des individus sans aveux, je surprenais des larmes au coin de ses paupières. Son cœur était encore sensible. Peut-être qu'éloigné de Paris il eût fait un bon sujet.
Cette sagesse ne fut que passagère, hélas C'était plus fort que lui. Il fallait qu'il aille retrouver ce qu'il appelait ses camarades. Il nous quitta une seconde fois. Nous reçûmes de ses nouvelles par les journaux. Il avait été arrêté en compagnie de son ami Collin et se trouvait compromis dans une affaire de vol qualifié. Collin passa en cour d'assises et fut condamné à une peine sévère. Lui, avait bénéficié, à l'instruction, d'une ordonnance de non-lieu.
Cette prison préventive aurait dû être un avertissement pour lui. Il n'en fut rien, au contraire. Le mal semblait l'attirer, le fasciner. Il nous quitta complètement. De temps en temps, il revenait nous voir, à peine dix minutes, et il repartait.
A nos questions - Que fais-tu ?. Où loges-tu ? Comment vis-tu ? » Il répondait par monosyllabes et jamais je n'ai rien pu savoir de précis.
Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ? Demandons-nous à la pauvre mère.
- Il y a quinze jours environ. Il me dit qu'il faisait de la photographie, qu'il avait des projets de voyage en tête et que peut-être il irait chercher fortune à l'étranger. Il n'avait pas l'air bien riche. Son pantalon était troué. Je le lui raccommodai. Il me demanda s'il n'y avait rien à manger. Je lui donnai ce qui restait du déjeuner. Une fois rassasié il partit. Je ne l'ai pas revu depuis lors.
Ainsi se termina le douloureux récit de Mme Léveque.
Le jeune vaurien, qui vivait dans le milieu interlope des filles et des voleurs, avait : cependant gardé une sorte de retenue dans la maison de sa mère. Quand, par hasard, il se laissait aller à parler argot, il se reprenait immédiatement et essayait de corriger cet écart de langage par une gentillesse. Mme Léveque trouve heureusement une compensation dans ses autres enfants, qui, tous, gagnent honorablement et dignement leur vie et ne lui donnent que des satisfactions.
Les Antécédents de Tané
L'arrestation du jeune Tané a également plongé dans le plus affreux désespoir toute une famille de braves et honnêtes gens. Rue de Chabrol, où, depuis plusieurs années, habitent les parents de Tané, il n'est point de note discordante tout le monde s'apitoie sur tes malheureux qu'un coup si terrible vient de frapper.
Les parents éplorés ont rigoureusement condamné leur porte et, à chaque visiteur qui vient aux nouvelles, la concierge répond M. et Mme Tané sont partis en voyage. J'ignore la date de leur retour.
N insistez pas, c'est une consigne, déclarait hier, à l'un de nos collaborateurs, un ami intime de la famille Tané. Il serait vraiment inhumain d'aller, troubler la retraite des malheureux. La mère surtout, la pauvre mère, est folle de désespoir, de honte. Elle se refuse à croire à l'indignité de son enfant qu'elle adorait et qui, devant elle, a avoué sa participation au crime abominable, torturant sans pitié, broyant ce pauvre cœur maternel.
Et notre Interlocuteur parlant de la famille Tané, ajoute
M.Tané habita longtemps Bordeaux, où il occupa une situation brillante. Sa fortune se trouva compromise dans une direction théâtrale. Tout sombra, mais l'honneur était sauf. Le fils aîné avait alors quinze ans ; il lui fallut interrompre ses études, et l'on vint se réfugier il Paris.
Grâce à ses connaissances très étendues, M. Tané parvint à trouver un excellent emploi depuis quatre ou cinq ans, il est représentant d'une importante imprimerie de la rue de l'Aqueduc, où son fils ainé entra également en sortant du régiment.
Avant de partir pour la caserne, le jeune homme avait ébauché un petit roman avec une petite ouvrière, orpheline et sans autre famille qu'un subrogé-tuteur.
On se plaisait beaucoup, mais trois ans d'attente, c'est bien long. La fillette avait quinze ans, elle était vaillante, le père, mis au courant des projets matrimoniaux, approuva et, sans hésiter, bien que ce fut une charge nouvelle et une lourde responsabilité, il offrit a l'orpheline de la recueillir sous son toit.
- Vous serez de la famille un peu plus tôt, voilà tout.
Le jeune Léon vivait avec les siens, et ce ne sont pas les bons exemples qui lui ont manqué. Sa mère, oubliant son passé de petite bourgeoise, était devenue une brave femme de ménage vaquant aux besognes les plus infimes afin que les siens pussent avoir la plus grande somme de bien-être possible. Placé en apprentissage, Léon était devenu Un excellent ouvrier conducteur-typographe, gagnant de belles journées. Presque subitement, il perdit le goût du travail et, en ces six derniers mois, malgré les remontrances de sa famille, il ne put conserver une seule place. Quand son père lui reprochait sa paresse, Léon se bornait à répondre Qu'est-ce que tu veux ? On me refuse du travail sous prétexte que je vais partir au régiment. Alors ? Et les journées s'écoulaient sans amener de changement à cette situation. Le jeune homme savait qu'au logis paternel il ne manquerait jamais de rien. Son père lui avait dit, en effet
- Près de nous, tu auras toujours un asile et le couvert mis. Mais d'argent, point Si tu en veux, fais comme nous, travaille. Il y a six ou sept jours, le jeune Léon revenait il la charge et tentait d'obtenir quelques subsides.
-Travaille répondit le père. Comment Léon Tané tomba-t-il dans le crime ? Mystère. Par quel concours de circonstances entra-t-il en relations avec les misérables qui l'ont entraîné dans leur chute ? Voilà ce que l'enquête établira peut- être.
Le petit parisien 2 septembre 1906
Les Receleurs. — La Vente des Bijoux, —
un Placement difficile. — Chacun pour soi
Le service de la sûreté a procédé, ces deux derniers jours à plusieurs arrestations de recéleurs compromis dans l’assassinat du malheureux gardien de nuit employé par M. Crossard, le bijoutier de la rue du Temple. Ce sont : Ernest et Gabriel Eckert, frères d'un des inculpés, le premier âgé de dix-neuf ans et le second de dix-huit seulement, demeurant rue Chapon ; Jean Desportes, âgé de vingt-neuf ans ; Louis Pinardel, âgé de vingt-cinq ans, garçon de recette, rue de Bondy ; Georges Colin, âgé de vingt et un ans.
Tous ces individus avaient été mis au courant par Lévéque du crime qu’il projetait. Ils savaient les uns et les autres qu’il y avait « 200 sacs à faire ». Chacun d’eux avait promis d’aider à vendre les bijoux, rapidement et au meilleur prix.
Après le crime, ils se rendirent en effet, au rendez-vous que leur avaient donné les assassins. Ils examinèrent le butin et se le partagèrent.
Quelques jours plus tard, ils reparurent en déclarant qu'ils n’avaient pu se défaire des bijoux Ils en rendirent une partie aux assassins et gardèrent l'autre. C'est ce qui explique que M. Crosssard et ses employés aient déclaré à M. Leydet qu’il en manquait pour environ 60.000 francs.
Ajoutant que plusieurs de ces recéleurs sont compromis dans des affaires récentes de vols, notamment ceux qui furent commis au préjudice de MM. Guebert, 119, rue Rêaumur ; Saget, 66, rue de la Verrerie, et de M. le docteur Leygue, 74, rue d'Hauteville,
Ces divers malfaiteurs, inculpés de complicité de vol par recel, ont été écroués au dépôt, à la disposition du magistrat instructeur.
Le petit parisien du jeudi 21 septembre 1905
Le crime de la rue du Temple
C'est au milieu d'une salle presque aussi remplie, mais infiniment plus calme que celle du procès Galley - Merelli, que comparaissaient, hier, les dix individus compromis dans le crime de la rue du Temple.
Les lecteurs du Journal se rappellent que, le 27 août dernier, au matin, on trouva le veilleur de nuit de la bijouterie Crossard, le nommé Florent Falla, âgé de soixante-neuf ans, étranglé sur son lit, les pieds, les genoux et les mains liés par des linges, bâillonné, le cou serré par une courroie de cuir.
Les coupables, arrêtés quelques jours après, étaient :
Beni Chou Eliester dit "Barnum" Albert Eckert Hermann Grellinger
1° Lévêque, dit le « Jésus du Sébasto », ancien employé de la maison, qui à ce titre est considéré par l'accusation comme l'organisateur du crime ;
2° Albert Eckert, dit « Rugby » ;
3° Tané.
Tous les trois ont, de concert, accompli l'assassinat de Falla et ont dérobé des bijoux pour une valeur de 80,000 francs environ.
Sept autres individus furent également englobes dans les poursuites comme complices du vol et receleurs. Ils répondent aux noms de Benichou Eliener, Adrien Bezamat, Ernest et Gabriel Eckert, frères d'Albert Eckert, Louis Pinardel, Alfred Dany et Herman Grellinger.
Le journal 6 mars 1906
Leveque Tané A. Eckert Benichou
7 mars 1906 la cour d’assises de Paris condamne à la peine capitale Robert "Jésus" Lévêque et Albert "Rugby" Eckert (18 et 21 ans. Etranglent avec une courroie de cuir le 27 août 1905 rue du Temple à Paris Florimondus Falla, 68 ans, Néerlandais, gardien de la bijouterie Crossard, pour dévaliser la boutique et emporter plus de 70.000 francs de bijoux.)
Ils seront grâciés le 19 mai 1906.