Le Glaneur

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La Croisade contre le Vice

La Croisade contre le Vice

Le Ministère de la Vertu et la répression du Vice


Réne Beranger « Père la Pudeur »

 

La Croisade contre le Vice

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Ce que dit M. le sénateur Bérenger Dans son château d'Alincourt-en-Vexin, l'honnête vieillard qui s'est constitué le gardien vigilant de la vertu française dresse un réquisitoire implacable contre les publications licencieuses, qu'il pourchassera sans merci.

 

A l'exemple de la vérité, sa sœur, la vertu n'habite pas les sommets, dans la dissipation de l'espace et du soleil ; elle habite le repli, des consciences, et les creux de la terre et, je descendis, pour la trouver, vers des bois, ténébreux. Car le château d'Alincourt-en-Vexin, ou le sénateur fortifia ses loisirs, s'étend au  fond  d'une forêt vierge  et noire d'où nul sauf (Te vivant ne monte vers la vie des grands plateaux : des grilles innombrables; des fossés, des poternes, des pont-levis grinçant sur leurs chaînes en défendaient l'approche, et son parc est un parc d'artillerie n'abritant à l'ombre crénelée de ses tours que des massifs d'artichauts de fer et de mortiers de bronze, contemporains du roi François 1er.

 

Figure prédestinée de ce cadre farouche, le maître de céans jura, dit-on, d'extirper l'amour de la surface de la terre, et, comme un spectre d'épouvanté, plane sur toutes les conjonctions interdites de ta jeunesse et de la gaieté.

Et voici que, non content de son prestige de rabat-joie universel, il vient encore de signifier un ultimatum à la presse et se prépare à ouvrir sur elle le feu de ses vieux canons.

Ce n'est donc point par plaisir, mais par métier, et presque à titre de correspondant de guerre, que j'ai franchi sans assurance les parapets du fort de La Pudeur.

 

Les renommées, sont mensongères et les apparences trompeuses, même quand elles s'appuient sur l'autorité de la blague et des chansons. Au lieu du grand croquemitaine qui soufflait sur le rire comme le vent sur la lumière, j'ai vu venir à moi un vieillard souriant et doux qui parlait comme un sage d'autrefois et jugeait comme un homme d'aujourd'hui de toutes les contingences de la morale. Quand il m'eut fait voir que son château des Ténèbres, héritage des de Villeroy, se dressait en réalité sur une tranche de soleil découpée dans la forêt, qu'il y avait des rosés dans tous les créneaux et des nids joyeux dans la bouche des vieux canons, il m'emmena vers la chambre aux sept serrures, dont la moindre fermerait une cathédrale, mais dont tous les pênes sans gâche témoignent par une rouille auguste de son sommeil sans crainte et sans remords. Il y dort en effet. Il y travaille aussi, n'ayant pour tout meuble qu'un bureau, deux chaises, un lit de moine et un christ de bazar qui a pris pour suaire ses courtines de philosophe.

 

 «  Il y a plus de vingt ans, dit-il, que j'ai fondé la « Ligue contre la licence des rues », et si elle n'a pas encore conquis toutes les positions que j'ai rêvées pour elle, c'est par la faute d'un quiproquo soigneusement entretenu par toutes les industries dont elle gêne l'essor contagieux. On la représente comme une sorte de confrérie prédicante, fondée pour la restauration de la morale par l'ennui, et naturellement on lui applique les qualificatifs, les couplets et les mots qui sont la menue monnaie du ridicule et la raison de ceux qui n'en ont pas. »

 

« Le programme de la ligue est tout entier dans son nom. Elle n'a jamais prétendu imposer à qui que ce fût une manière d'être ou de penser elle ne sait pas et ne veut pas savoir ce qui se passe dans l'inviolabilité du domicile, ni comment chacun y traite ou maltraite sa dignité personnelle. Le domicile appartient à la conscience, mais la rue appartient à tout le monde aux trop jeunes qui n'ont pas leur libre arbitre, aux trop faibles qui ne peuvent pas se défendre, à tous ceux, enfin, qui ne désirent pas subir des promiscuités, des provocations et des spectacles que d'autres prétendent indûment leur imposer. »

 

» S'il est du droit de quiconque d'avoir le choléra, la gale ou les écrouelles, il n'est du droit de personne de les étaler sur, les places et de les communiquer aux passants. Ce n'est donc pas au nom de la doctrine, de la morale ou de l’hygiène de quelques-uns que la ligue entreprend la lutte, mais au nom de la liberté pour tous de n'être ni contaminés ni salis. Elle n'est pas, comme on l'affirme, un bataillon de gendarmes, mais une simple équipe de balayeurs qui veut empêcher les pas fragiles des enfants et des femmes de trébucher, dans, l'ordure.

La contrainte apportée depuis quelques années à la manutention publique de la débauche par toute une série de mesures législatives a conduit ses entrepreneurs a la recherche de nouveaux débouchés. Puisqu'elle ne pouvait plus venir à la foule, il fallait, que la foule vint a elle et la presse, qui va partout, fût naturellement chargée du service de racolage. »

 

« En dehors de la pornographie, directe, qui consiste dans la publication de contes et de gravures plus aptes a réjouir le priapisme des singes que l'esprit des hommes, certains journaux traînent auprès eux une véritable charrette d'immondices. On arrête quelquefois le camelot qui débite timidement, à la sortie des gares ou des théâtres, les objets d'art de la luxure et la manière de s'en servir mais, par une étrange interprétation de la liberté de la presse, on laisse passer le journal, qui pénètre dans la famille, s'affiche dans les kiosques, raccroche les yeux, les cerveaux et les âmes, et, par tous les pores de la curiosité, empoisonne le sang nouveau de la génération grandissante. »

 

« A l'exemple des demi et quart de monde pour qui elle opère, l'annonce gardait jadis une certaine pruderie extérieure, qui n'était au surplus qu'une forme de la prudence, laissant aux amateurs le soin d'entrevoir sous des mots amorphes des réalités plus sensibles. C'est, ainsi qu'on pouvait et qu'on peut encore lire, dans des feuilles importantes de la capitale des appels de ce genre :

 

« Monsieur riche. 50 ans, très bien conservé, demande pour mariage, jeune et jolie ouvrière libre trois fois par semaine. »

« Monsieur prêterait souvent 10 francs a jeune fille brune dans l'embarras. »

« Eva jolie blonde, momentanément gênée, emprunterait 20 francs chez elle, rue de X… de cinq à sept heures du soir. »

 

» Bien qu'il n'eût pas la moindre illusion sur ce genre de mariages, de prêts et d'emprunts, pas plus que sur le négoce véritable de la plupart des masseuses, manucures, modèles et doctoresses en toutes sortes de langues plus ou moins vivantes, qui font le trottoir a la quatrième page des journaux, le parquet demeurait inactif, sous prétexte que la lettre seule, et non pas l'esprit, constitue l'obscénité punissable. A la suite du nom, de l'adresse et du prix, il aurait encore fallu un dessin explicatif de Steinlen ou de Caran d'Ache pour émouvoir son indolente candeur.«

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» Comme il fallait s'y attendre, cette inertie a donné des fruits remarquables par leur saveur et leur taille. Sept journaux illustrés de Paris, dont quelques-uns forcent la porte des foyers les plus honnêtes, publient actuellement de telles ignominies que, même à titre d'exemple, et pas plus en latin qu'en grec, vous ne consentiriez sans doute à en éclabousser vos lecteurs.«

 

» Afin de mettre un terme à la propagande de ces papiers aphrodisiaques, « la Ligue contre, la licence des rues » a sollicité des poursuites contre celui d'entre eux qui, du titre à la signature, porte le plus gaillardement le poids de sa turpitude. Après la condamnation, qui n'a d'ailleurs pas amendé le coupable, elle en a signifié le dispositif à l'ensemble des feuilles malpropres ; un grand journal du matin, un tri-hebdomadaire à grand tirage et sept ou huit publications illustrées où l'audace des gravures commente surabondamment le sous-entendu des textes.«

 

» Dès le lendemain de cet envoi s'ouvrit dans nos bureaux un véritable concile du caco graphisme pénitent. Pleins de larmes et d'épouvanté, la plupart des directeurs menacés se déclaraient prêts â toutes les contritions futures, pourvu que nous leur accordions un peu de répit, juste le temps de finir les quelques attentats à la pudeur qu'ils étaient en train de commettre.

Cette revendication imprévue de la loi Bérenger ne nous a pas paru concluante. Nous déposerons incessamment dans les mains du procureur de la République le relevé complet de toutes les annonces délictueuses, joint à notre ferme propos d'en imposer la répression par toutes les ressources de notre influence parlementaire et personnelle. Je ne me dissimule pas, cependant, que le seul remède à l'apathie d'un parquet pour qui la crainte du journalisme n'est, hélas pas le commencement, mais la fin de la sagesse, serait le droit d'initiative judiciaire que l'Angleterre-et l'Amérique concèdent aux sociétés analogues. Il y a deux ou trois ans, tandis que le Matin menait dans ses colonnes une rude campagne contre les exploiteurs et les salisseurs de l'enfance, j'ai proposé au Sénat d'étendre aux sociétés protectrices le droit de poursuites directes. Le gouvernement était avec moi, la logique aussi, et le principe fut, à première lecture, admis à mains levées.«

 

» Quand survint la deuxième séance, qui ne devait être que de pure forme, et tandis que M. Fallières commençait sa lecture, M. Berthelot, mon voisin, me tira par la manche et me dit à l'oreille :

« Erreur ne fait pas compte. J'ai applaudi, l'autre jour. Je réfléchis, aujourd'hui, que la plupart des institutions de patronage sont des institutions catholiques. Je ne veux pas donner de nouveaux privilèges aux curés je vote contre vous.

 

« Il achevait à peine ce propos, qui n'ajoute rien à sa gloire, que M. Ponthier de Chamaillard, me prenant par la manche adverse, continua la même antienne « Mon cher confrère, votre projet, que j'ai accepté d'enthousiasme est parfait en théorie et détestable en pratique. Le gouvernement ne favorise que les sociétés secrètes, et je ne veux pas accroître la puissance des loges je vote contre vous. »

 

« Le premier scrutin m'avait donné raison ;le deuxième me donna tort avec une égale unanimité. Et voilà pourquoi, sous l'œil des magistrats indécis, on peut encore exploiter, battre et corrompre l'enfance pour la gloire réciproque du diable et du bon Dieu. »

» Mieux inspiré pendant la dernière législature, le Sénat a voté un texte explicatif de la loi sanitaire de 1898, aux termes duquel on devra poursuivre non seulement l'apparente obscénité des mots, mais encore l'obscénité du sens qu'ils comportent ; deux journaux, les plus coupables, parce, qu'ils sont les plus puissants, ont dédaigné nos menaces et continuent sans atténuation le cours de leurs polissonneries lucratives. Ils comptent sur l'impunité traditionnelle, la force de leur tirage et la faiblesse de la justice. Ils ont tort de ne pas compter aussi sur la loi prochaine, et notre volonté présente de les envoyer, s'il le faut, guérir à la Santé leurs rechutes d’érotisme.

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- J’ai le regret d’informer madame la comtesse que faisant partie de la ligue contre l’adultère, je me verrai dans l’obligation de la dénoncer et de la poursuivre si… elle ne double pas mes gages…


» Peut-être qu'en fin de compte nous n'aurons pas démérité de la presse en lui interdisant de transformer en bouche d'égout sa bouche d'or, ouverte pour l'idéal. Et sans doute n'aurons-nous pas davantage démérité de l'avenir en rappelant au présent la bienséance, qui n'est pas l'austérité des mœurs, mais leur politesse, et pour ainsi dire la révérence publique du vice a la vertu. »

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Flagrant Délit

-Je pourrai vous poursuivre, mais nous y regardons toujours à deux fois avant de déshonorer un homme respectable… Donnez-moi 200 louis pour notre propagande.


Brutus, au soir de Philippes, prétendit que la vertu n'était qu'un mot ; Bérenger, au soir d'Alincourt, me démontrait qu'elle savait être, à l'occasion, un fort long discours, quand, à travers le silence religieux de l'espace, de grands rires vinrent l'interrompre. Ce n'était pas, dans les tours hautaines ou la réplique moqueuse des satyres et des faunes. C'était le retour joyeux d'une troupe de jeunes femmes et d'enfants ses filles, ses petits-fils et ses hôtes. Ils embrassèrent le vieillard, et je crus voir dans son émotion tout le secret de sa rude vigilance.

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Monsieur Barthou reçoit les félicitations de la joyeuse Société des pinces sans rire de son enquête auprès des cours d’appel sur l’extraordinaire projet Béranger.


Les Bonnes Moeurs

 

« Que de maris cocus ne le seraient pas, s’ils n’avaient

pas d’enfants ayant besoin de gambader au grand air ! »

 

Cette bucolique, au charme si puissant, de nos amis les libres citoyens de l’Helvétie, produit, à ce qu’il paraît, des effets extraordinaires.

L’annonce ci-dessous, publiée naguère par la Galette de Lausanne, vient à l’appui de cette sup-position.

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Ce garçon me semble si désireux de travailler que j’ai tenu à lui rendre service dans la mesure de mes moyens, en insérant ici, à titre gracieux, sa chalande d'emploi. Il faut s'aider les uns les autres, et je me réjouirais d’avoir été utile à ce jeune Suisse, si vous, mon cher lecteur, ou vous-même, ma charmante lectrice, étiez la « personne poétique » susceptible de le faire « exulter de fantaisie et de joie ».

Mais je me demande ce qu’a bien pu penser de cette annonce quelque peu bizarre, notre honorable et vertueux sénateur Bérenger, châtelain d’Alin-court-en-Vexin, qui s’offusqua, - je ne l’en blâme pas, je constate, - de celle-ci, pourtant moins amphigourique :

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Pour ces sortes de transactions, il n’y a pas seulement la DEMANDE ; en regardant bien, on trouve aussi l’OFFRE, dont voici un exemple :

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Eh bien, monsieur le sénateur Bérenger, puisqu’il s’adonne à la destruction de la publicité… bizarre (!), devrait surtout poursuivre les filous, les escrocs, les voleurs qui, au moyen d’annonces dans les grands journaux, et sous prétexte de procurer aux gens des emplois bien rémunérés, des travaux lucratifs à faire chez soi, trompent de pauvres bougres qu’ils ruinent et réduisent à la pire misère !

Que M. le Sénateur étende ses investigations jusqu’à ces offices véreux et il se rendra compte qu’une annonce comme celle-ci :

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Est plus nuisible que celle de la blonde Eva ou que celle du « monsieur bien conservé», car des centaines de sans-travail, alléchés, s’adressent à X..., qui leur demande d’abord cinq, dix ou vingt francs, — souvent davantage,- qu’il ne rend jamais, bien qu’il ne procure, en réalité, ni places stables, ni « travaux lucratifs ».

Epurez les annonces des viveurs et des pécheresses, M. le Sénateur, mais supprimez radicalement celles des voleurs, - votre œuvre sera plus profitable au Public.

L’annonce de X..., qui dit aussi, parfois, qu’il a « des millions à prêter » cause de la tristesse et fait verser des larmes.

Celle d’Eva amuse et fait rire.

Laquelle condamnerez-vous ?


Quelques annonces alléchantes :

 

 

 
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jeune-fille-blonde

 

 


service

 

 

potelee

 

 

 

parrain

 

 

 

 

 

 

 

 

     

       



13/09/2019
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