PAUL VERLAINE
IL Y A 50 ANS MOURAIT PAUL VERLAINE
8 janvier 1896 ; la mort figeait à jamais le masque socratique de Verlaine. Tout un monde d’harmonies s’éteignait avec le pauvre Lélian, cœur tourmenté, corps meurtri, dont Coppée put écrire qu’en dépit des ans et des drames et des vices et de la longue misère que fut sa vie, il était demeuré un enfant. Quand il naquit, à Metz, son visage déjà montrait une laideur rare : faciès de mort minuscule, il vouait Verlaine à tous les déboires, sinon même à toutes les aberrations de sa vie d’homme. Lycéen, étudiant, nulle grâce ne parait sa jeunesse, ni sa haute silhouette large d’épaules, ni cette étrange figure aux yeux obliques, au teint terreux... Et quand, « tel qu’un orphelin pauvre sans sœur aînée », riche de ses « seuls yeux tranquilles », il vint vers les hommes des grandes villes, ses études d’élève studieux, mais moyen, terminées, ce fut pour y apprendre la comptabilité et la calligraphie. Le morne bureau d’une compagnie d’assurances, les cartons verts de l’Hôtel de Ville : tels furent ses contacts avec la réalité, mais il n’accordait à ces besognes qu’une présence parcimonieuse, pour donner le meilleur de soi aux longues palabres qu’il prolongeait dans les cafés voisins, avec des poètes, des peintres et des musiciens. Fonctionnaire ? Non, dès ses dix-huit ans, il avait fait choix de sa vocation. Il serait poète. Il le fut, dès lors, contre vents et marées, à travers tous ses avatars, malgré tout et tous, malgré lui-même, depuis 1866 où parurent, inaperçus de toute critique, les Poèmes saturniens, jusqu’aux derniers mois de 1895 où fut publié son ultime recueil : Mort, au titre prémonitoire. Même indifférence de la presse envers les fêtes galantes : c’est en vain que dans ces deux poèmes chantaient en sourdine les grâces du siècle dix-huitième, les rires des faunes parmi les boulingrins, des parcs solitaires et glacés, les murmures heureux des « Embarquements pour Cythère. » « De la douceur », « de la douceur » ... demandait Verlaine qui, parfois, rêvait -du foyer, de la « lueur étroite de la lampe » ... Et, parce qu’il pleuvait « dans son cœur comme il pleut sur la ville », lui qui n’avait, de la vie, donné le bras à une femme, décida de faire sa cour, par lettres, à une jeune fille ; Mlle Mauté de Fleurville, qui s’appelait Mathilde, comme son premier amour — celui qu’à huit ans il éprouvait pour une gamine connue sur l’esplanade de Metz. Dans la corbeille de noces, il déposa les vers de sa « Bonne Chanson ». D’elle, il espérait qu’elle saurait apaiser « les fièvres de son front blême » ... Fragile et fugitif (bonheur que celui de ce couple. Verlaine commençait à (boire. Sa rencontre, puis son ardente amitié avec Arthur Rimbaud, jeune démon qui devait traverser le ciel de la poésie comme un météore avant d’aller finir une existence hors-série en Abyssinie
Avec Rimbaud, le voici en Angleterre, puis à Bruxelles... Au cours d’une scène d’ivresse, Verlaine tire un coup de feu sur son ami et c’est la prison, où il chante la prenante complainte de ses « Romances sans paroles ».
Le ciel est par-dessus le toit
Si bleu, si calme…
En 1875, le voici de retour en France, vieilli, usé. Converti aussi. Mais pour combien de temps ? Il retrouve Paris, les musées, les concerts où il cherche « de la musique avant toute chose » ... Repart pour les Ardennes, retourne en Angleterre où il enseigne le français et le dessin, revient à Rethel, tâte de l’agriculture et, rentré définitivement à Paris, publie « Sagesse » qui, enfin lui vaut la célébrité. Non sans peine, car l’éditeur, qui avait cru éditer Un recueil de cantiques, s’aperçoit de sa méprise et vend le stock à un soldeur qui voue au pilon une partie de l’édition. Mais la silhouette de Verlaine est désormais familière aux étudiants, aux jeunes poètes qui le voient passer dans sa houppelande, le col cerclé d’un grand foulard, et composer, en déambulant, ses purs chefs- d’œuvre qu’il griffonnera dans les cafés, devant une absinthe. La gloire s’attache â sa misère et la misère à ses pas, avec la maladie. De bouges en grabats, Verlaine devient le « poète de l’hôpital » — celui qui, autour de son lit hasardeux, verra venir à lui l’admiration de Moréas et d’Anatole France, de Huysmans et de Mallarmé, de Pierre Louÿs et d’André Gide. Décadents et symbolistes saluent — malgré lui — comme un maître ce vrai poète qui, à travers les sanies de son existence misérable — il ne sera resté qu’un court moment professeur dans la proche banlieue — vivra de quelques conférences, de poèmes donnés pour quelques francs à des journaux et à des revues. Poètes maudits. Jadis et naguère, Parallèlement, Femmes, Bonheur, Chansons pour elle. Liturgies intimes. Élégies, la guirlande de ses derniers chants se tresse d’année en année musicale et nostalgique. Le 8 janvier 1896, dans sa misérable chambre de la rue Descartes, perdu d’alcool, perdu de maladies, innocent et pervers, fidèle à son rêve seulement et à son propre conseil : Mourez parmi la voix terrible de l’Amour !... Il s’éteint, léguant aux cœurs épris de tendresse le plus eurythmique des messages ne qu’ait jamais inspiré la souffrance.
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ? …
Ce deuil est sans raison.
C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !